Un demi-siècle

Il marchait d’un pas déterminé depuis plus d’une heure.

L’air pensif il ne se rendait même pas compte du poids qui tirait son bras gauche vers l’arrière.

50 ans ! Cinq décennies, mon cher Marc ! Un demi-siècle, bon sang ! Et dire que je traitais les hommes de cet âge de vieux il n’y a pas si longtemps… Ça y est, j’y suis !

Des aboiements plaintifs l’obligèrent à ralentir sa cadence.

- Allez, Pogo ! Quelques minutes de plus et l’on rentre. Promis !

Le chien semblait satisfait de cette réponse et poursuivit sa trotte auprès de son maitre en se trainant légèrement les pattes.

50 ans ! Comme le temps est passé vite ! Mais, qu’ai-je fait de toutes ces années ? Qu’ai-je réellement accompli ?

Il emprunta une passerelle qui le mena vers un petit parc où plusieurs tableaux étaient exposés.

Quelle bonne idée ! Et il y a de l’art moderne en plus !

Fervent amateur du surréalisme, il zigzagua entre les œuvres et traversa ainsi le courant réaliste, suivi de l’impressionniste, puis du cubiste avant de s’arrêter en face d’un portrait surréaliste.

Il l’observa attentivement de près et de loin et s’écria :

- Mais, c’est moi !

Pogo aboya une fois. C’était sa façon de dire oui.

- Qui a peint ce tableau ?

Il se rapprocha de l’œuvre et ne put déchiffrer la signature maladroitement transcrite au bas à droite. Toutefois, il constata que la date indiquée sous le monogramme était celle d’aujourd’hui.

- Comment est-ce possible ?

Il leva de nouveau les yeux vers son portrait en quête d’autres indices qui lui permettraient d’élucider ce mystère.

C’était bel et bien lui. Avec un visage plus ovale, certes, et des rides très marquées autour de ses yeux ainsi que sur son front.

- Pourquoi avoir tant mis l’accent sur mes rides ? Quelqu’un essaie-t-il de me faire une mauvaise blague ?

Il balaya du regard le parc et ses environs, mais personne ne lui prêtait une attention particulière.

Pogo aboya trois fois. C’était sa façon de mettre en garde son maitre.

- Qu’y a-t-il ?

Le chien aboya trois fois en direction du tableau.

Marc suivit le regard de son fidèle compagnon et remarqua que les rides de son portrait se mirent à bouger.

- Incroyable ! s’exclama-t-il en touchant l’une d’entre elles.

Le portrait disparut aussitôt pour laisser place à un enregistrement vidéo qui lui relata comment cette ride était apparue.

Ainsi, en appuyant sur toutes les rides du tableau, il revisita des souvenirs flous, mais pas oubliés, du décès de sa mère à la naissance de sa fille ; de l’adoption de Pogo à la maladie de son frère ; de son mariage à la fermeture de son restaurant…

- On en a parcouru du chemin, mon Pogo !

Le "chien-saucisse" aboya une fois puis lui signala, en tirant sur sa laisse, qu’il était temps de rentrer chez soi.