Sensus capio

Peu de temps après avoir pénétré le bois, elle activa l’un des cinq boutons de son casque d’écoute.

Un léger courant traversa son corps, et puis ce fut le silence absolu.

Un silence rare où elle ne s’entendait même plus respirer.

Elle renifla l’air ambiant et ne perçut aucune odeur.

Elle marcha vers un prunellier et ne sentit pas le poids de ses pieds toucher la terre ferme.

Quelle sensation étrange !

Elle cueillit une prunelle, la porta à sa bouche et mordit à deux dents le petit fruit.

Rien.

Aucune acidité. Aucun goût.

Son monde était devenu insonore, inodore, impalpable et insipide.

Parfait ! L’application « Promenons-nous dans les bois » fonctionne comme prévu.

Elle marcha en ayant l’impression de flotter et s’arrêta pour observer deux écureuils qui se couraient après autour du large tronc d’un châtaignier commun.

Quel arbre nourricier majestueux ! Et dire qu’il peut vivre plus de mille ans !

Une mésange charbonnière vola dans son champ de vision et se posa sur une branche non loin d’elle.

Elle détailla le petit oiseau au bec court, aux joues blanches et au dos verdâtre.

Et dire que ce passereau est un redoutable prédateur. Gare à vous chers insectes si vous croisez son chemin !

Elle erra ici et là se laissant guider que par sa vue.

Elle redécouvrit alors ce bois qu’elle connaissait par cœur en l’observant sous un autre angle et dans ses moindres détails.

Et ce n’est qu’au bout de trois heures qu’elle appuya enfin sur le deuxième bouton de son casque d’écoute.

L’image avait un son.

J’ai l’impression d’être passée du film muet au film parlant. Et dire que le cinéma sonore a apparu il y a moins d’un siècle, en 1927 plus précisément.

Elle regardait tout ce qui l’entourait avec un vif intérêt et se laissait transporter par la mélodie improvisée des habitants du bois.

Ainsi, elle y passa la journée en activant un nouveau bouton à la fois jusqu’à regagner progressivement le contrôle de ses cinq sens.