La poupée russe
- Clothilda Naim

- 1 avr. 2023
- 2 min de lecture

D’apparence sereine, rien ne la dérange. Ni la cacophonie des klaxons ni le chaos qui l’accompagne. Au premier feu brûlé par les conducteurs de la rue transversale, elle fronce un peu les sourcils et poursuit sa route en se faufilant entre les voitures et les mobylettes.
Surtout garder son clame.
Un automobiliste l’évite de justesse et elle lui lance un regard haineux.
Reste concentrée, tu y es presque !
Un piéton traverse en plein milieu de l’autoroute alors qu’une mobylette transportant un homme, une femme et deux enfants — tous sans casque — se dirigent vers elle en sens inverse. Elle retient son souffle en écarquillant les yeux et parvient à réaliser une manœuvre digne du film « The Fast and the Furious » pour ne heurter personne.
Je vis dans un pays de fous !
Elle se dirige dans un tunnel obscur, car l’électricité est devenue un luxe que l’État ne peut plus se permettre.
Et là, elle rugit d’un cri primal en allumant les phares.
Un long cri qui symbolise toute la frustration accumulée depuis plus de trente ans.
En sortant du tunnel elle est accueillie par des enfants qui quémandent pendant que leur mère est assise sur le bord de la route un nourrisson dans les bras.
Verront-ils le jour de leurs dix-huit ans ?
Elle est coincée dans un bouchon.
Le tintamarre des klaxons monte d’un cran.
Elle a l’impression de suffoquer.
Elle ferme les yeux et se met à chantonner sur un air de John Lennon :
« Imagine there’s no countries
It isn’t hard to do
Nothing to kill or die for
And no religion too
Imagine all the people
Living life in peace… ».
Une heure après avoir quitté son appartement, elle arrive enfin à l’école et récupère son enfant tout sourire.
Je dois la sortir de là. Je vais la sortir de là !



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