Une leçon de vie

-       T’sais m’man ?

-       Oui, Alex ? répondit-elle en éminçant un oignon.

-       Tu devrais te trouver un petit ami.

-       Quoi ?

-       Tu devrais te trouver un copain, un amoureux quoi !

Elle abandonna son couteau ainsi que la moitié de l’oignon sur sa planche à découper en bambou et considéra son fils. Il a toujours été très direct et certains auraient tendance à croire qu’il manque de tact, mais c’est sa façon à lui de s’exprimer et ça, sa mère l’a bien saisi.

-       C’est parce que ton père s’est remis en couple que tu me dis ça ?

-       Non, pas vraiment… C’est juste que j’pense que la solitude convient à certaines personnes, mais pas à toi. Et puis, ces personnes doivent être bien entourées à mon avis ; genre avoir une tonne d’amis ou une grande famille par exemple.

-       Je ne sais pas quoi te dire Alex, mais je me suis habituée à ce train de vie et pour l’instant, contrairement à ce que tu crois, il me convient par-fai-te-ment !

-       Pour l’instant ?

-       Oui, pour l’instant. Après on verra bien.

Alex remarqua une certaine irritabilité dans la voix de sa mère, alors il se dirigea vers elle et l’enlaça tendrement.

-       J’voulais surtout pas t’offusquer m’man.

-       Ça va, ça va, mon chéri ne t’inquiète pas, lui chuchota-t-elle à l’oreille.

Alex recula d’un pas et la fixa dans le blanc des yeux.

-       Je ne m’inquiète pas vraiment m’man, mais j’ai besoin de te dire quelque chose et le meilleur moyen pour moi de te l’expliquer est à travers les chiffres.

-       Alex, tu sais bien que les mathématiques ce n’est pas mon fort.

-       Je vais faire simple, promis !

Elle soupira.

-       Bon, bon, vas-y !

Alex s’éclaircit la voix et affirma :

-       Aujourd’hui, et je dis bien aujourd’hui m’man, tu me fais penser au chiffre 1.

-       Mais, c’est bien ça ! Le chiffre 1, numero uno, la première position, la premiè…

-       Non, non, m’man, l’interrompit-il, laisse-moi terminer s’teplait !

-       Bon, bon, OK ! Motus et bouche cousue ! répondit-elle tout en mimant l’action.

Alex lui fit une grimace avant de reprendre le fil de ses idées.

-       Donc, comme je disais, tu me fais penser au chiffre 1 qui, pour moi, est un chiffre solitaire. Déjà, en apparence, il a l’air abattu, légèrement incliné vers l’avant, comme si tout le poids du monde reposait sur ses épaules et qu’il peine presque à rester en équilibre.

Il jeta un coup d’œil rapide à sa mère qui le regardait les yeux écarquillés et, satisfait de l’effet escompté, il poursuivit :

-       Alors qu’au fond, je sais que tu es plutôt comme le chiffre 2. Pour moi, c’est un chiffre qui a de l’assurance, qui a une bonne base solide et en équilibre et qui me fait penser à un cygne.

-       Tu as fini ?

-       Oui.

-       Alors, là ! C’est bien la première fois que j’entends ça ! En tout cas, il y a de quoi envier le chiffre 2.

-       Même pas drôle, m’man ! J’te donnais mon avis, c’est tout.

-       Bon, blague à part, Alex, comment tu fais pour passer de t’sais m’man à ce genre de tirade ?

-       T’sais m’man, je suis quand même un ado, mais un ado éveillé.

-       Je n’en doute pas, mon chéri ! On s’entend tout de même qu’il y ait des gens heureux qui vivent seuls par choix.

-       Oui, j’sais m’man ! Mais la solitude et toi ça fait deux, lui affirma-t-il en souriant.

Elle lui sourit à son tour avant de tailler le reste de l’oignon en fines lamelles.