Certifiée, création humaine

Sur la scène de théâtre, un homme mûr vêtu d’un chapeau melon faisait les cent pas.

Sa montre à gousset dans la main, il y jeta un coup d’œil, s’arrêta et fixa son public d’un air sévère.

-      L’heure est grave, affirma-t-il en tirant sur sa moustache en croc soigneusement cirée.

-      Que voulez-vous dire, señor Poirot ? interrogea une fillette assise au premier rang.

La salle grouillait de monde, mais cette fille à la tête ornée d’un ruban rouge fut la première à prendre la parole. Il lui répondit comme s’il s’adressait à une adulte.

-      Je veux dire, ma chère Mafalda, que toutes les preuves jouent en notre défaveur en ce moment. Nous entrons dans une nouvelle ère où nos histoires seront écrites par… (il marqua une pause et balaya la salle d’un regard soucieux).

-      Par ? s’impatienta Mafalda.

-      Par une intelligence artificielle.

Foutaises ! Aberrations ! Absurdités ! crièrent les uns.

Absolument ! Il était temps ! Et pourquoi pas ? crièrent les autres.

-      Mesdames et messieurs, du calme, je vous prie. Si je vous ai convoqué ici aujourd’hui, c’est pour que nous en discutions justement et que nous pesions le pour et le contre.

-      Il n’y a rien à peser du tout ! C’est inévitable ! s’écria Victor Frankenstein.

-      Et pourquoi donc ?

-      Parce que, Monsieur Poirot, JE vous le dis ! Les humains croient que tout leur est dû, qu’ils règnent sur cette Terre en race supérieure et qu’ils représentent une fin en soi. Alors que c’est FAUX ! Ils ne sont que de passage et ne jouent qu’un rôle d’intermédiaire pour permettre à une nouvelle sorte d’intelligence de voir le jour.

-      Laissez-moi passer ! cria Mafalda en sortant de la salle d’un pas déterminé sous le regard hébété de plusieurs personnages.

Elle retourna aussitôt avec un globe terrestre transparent entre les mains.

-      Mais que faites-vous, fillette ? s’étonna Hercule Poirot alors qu’elle le rejoignit sur scène.

-      Ce globe est magique et seul lui détient la réponse à notre question existentielle, s’empressa-t-elle de lui répondre.

-      Magique, dites-vous ? Et comment fonctionne-t-il ?

Mafalda afficha un grand sourire.

-      Il suffit qu’une main pure et innocente comme la mienne le fasse tourner. Si la couleur que vous percevriez est bleue, alors l’humanité persistera pour des siècles à venir.

Un bourdonnement de voix s’éleva dans la salle. Hercule Poirot devait agir au plus vite avant de perdre le contrôle de la situation.

-      Mesdames et messieurs, du calme, je vous prie. Je suggère que nous procédions à un vote. À mains ou chapeaux levés, qui est en désaccord avec Mafalda ?

Quelques personnages qui ne croyaient pas en la magie quittèrent les lieux.

Satisfaite du résultat escompté, Mafalda déposa le globe sur la scène, se frotta les mains et le fit tournoyer dans le silence absolu qu’un soupir de soulagement général brisa.

Alors qu’elle s’apprêtait à partir avec son globe terrestre, Hercule Poirot l’interpella :

-      Bien joué, fillette ! Vous leur avez fait croire que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ».

Elle lui afficha un grand sourire.

-      Qué será, será señor Poirot. Qué será, será…